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...@@ -426,48 +426,297 @@ avant notre ère, l'hypothèse hardie (et contraire aux perceptions immédiates) ...@@ -426,48 +426,297 @@ avant notre ère, l'hypothèse hardie (et contraire aux perceptions immédiates)
Terre sphérique est avancée. La hardiesse de cette hypothèse ne se limite pas à une Terre sphérique est avancée. La hardiesse de cette hypothèse ne se limite pas à une
question de forme, mais aussi au fait qu'une Terre sphérique doit "tenir en l'air". question de forme, mais aussi au fait qu'une Terre sphérique doit "tenir en l'air".
Ce courant de la pensée astronomique se poursuit au début de la période classique CCe courant de la pensée astronomique se poursuit au début de la période classique
avec ANAXAGORE pour qui la Terre plate flotte dans l'air : même si les textes disponibles avec ANAXAGORE pour qui la Terre plate flotte dans l'air : même si les textes disponibles
disent peu de chose sur le sujet, on ne voit pas comment l'observation n'occuperait disent peu de chose sur le sujet, on ne voit pas comment l'observation n'occuperait pas
pas une place réellement importante. ANAXAGORE semble bien avoir discerné la nature une place réellement importante. ANAXAGORE semble bien avoir discerné la nature des éclipses,
des éclipses, et explique que la Lune est éclairée par le Soleil. Avec METON un et explique que la Lune est éclairée par le Soleil. Avec METON un effort de rationalisation
effort de rationalisation du calendrier apparaît. C'est à PHYLOLAOS qu'on attribue du calendrier apparaît. C'est à PHYLOLAOS qu'on attribue la première affirmation que la Terre
la première affirmation que la Terre n'est pas le centre du monde. Elle tourne en n'est pas le centre du monde. Elle tourne en 24 heures dans le plan équatorial autour d'un
24 heures dans le plan équatorial autour d'un gigantesque feu central. Les autres gigantesque feu central. Les autres astres tournent eux aussi, mais dans un autre plan
astres tournent eux aussi, mais dans un autre plan (l'écliptique). La Lune est (l'écliptique). La Lune est toujours éclairée par le Soleil, lui-même réfléchissant la
toujours éclairée par le Soleil, lui-même réfléchissant la lumière du feu central. lumière du feu central. Il précise le phénomène des éclipses, et redécouvre peut-être
Il précise le phénomène des éclipses, et redécouvre peut-être la planète Saturne la planète Saturne connue des mésopotamiens et de PYTHAGORE, mais qui avait semble-t-il
connue des mésopotamiens et de PYTHAGORE, mais qui avait semble-t-il été oubliée. été oubliée. Cette représentation atteste à la fois d'une pensée abstraite élevée et
Cette représentation atteste à la fois d'une pensée abstraite élevée et d'une réelle d'une réelle base de connaissances résultant d'un effort persistant d'observation et
base de connaissances résultant d'un effort persistant d'observation et probablement probablement de mesures des angles (pour discerner la différence des plans de rotation).
de mesures des angles (pour discerner la différence des plans de rotation).
Simultanément à ses approches, une formation de culmination de la pensée abstraite est
à suivre ... atteinte avec PLATON. Cette pensée très brillante à un impact contradictoire sur le
s progrès futurs des connaissances astronomiques : d'une part, l'approfondissement de
la pensée abstraite dynamise la volonté d'accéder à l'essentiel, au-delà des apparences,
et de décrire quantitativement les phénomènes astronomiques ("les écrire en langage
mathématiques" comme dira plus tard GALILEE), mais d'autre part, le point de vue philosophique
"idéaliste" stérilise, la démarche observationnelle (de mesure), plongeant dans un mépris
durable (jusqu'à la Renaissance) l'effort d'observation des "apparences trompeuses".
Pourtant, ce courant de pensée qui méprise la mesure (a-t-il totalement disparu de nos
jours ?) n'est devenu la pensée unique que beaucoup plus tard, entre le V<sup>ème</sup>
et le VII <sup>ème</sup> siècle lorsque le dogme des religions monothéistes (principalement
chrétienne) imposa une vérité révélée. À l'époque de PLATON et durant plusieurs siècles,
cette idée fut combattue dans les discours et dans les actes. Cet affrontement entre
deux approches philosophiques n'est-il pas une des causes majeures des avancées conceptuelles,
notamment pour l'astronomie "grecque" des six siècles à venir?
Toujours est-il qu'avec PLATON, la réalité devient réductible aux "idées" ou "formes".
Les lois à découvrir sont de nature mathématique et toujours de l'ordre de l'abstrait
(obéissant d'ailleurs à des principes de perfection qui confinent au divin). Dans ce
cadre de pensée, la Terre demeure sphérique et placée au Centre d'un ciel lui aussi
sphérique. PLATON reprend l'idée mésopotamienne d'une partition de l'Univers avec un
monde sublunaire pour des hommes, puis un monde supralunaire pour les divinités,
habité par un nouveau constituant appelé "ether" pour monde invariant de tout éternité.
Le monde sublunaire est celui de toutes les imperfections et de tous les changements.
Il résulte de la composition des quatre éléments fondamentaux proposés quelques dizaines
d'années plus tôt par EMPEDOCLE : la Terre, l'Eau, l'Air et le Feu. Au-delà de la Lune
en rotation autour de la Terre tournent, sur des sphères concentriques, le Soleil, Vénus,
Mercure, Mars, Jupiter, Saturne puis enfin, la sphère céleste portant les étoiles.
Ces rotations doivent respecter l'harmonie des nombres ; aussi PLATON propose-t-il
à son "thésard" du moment, EUDOXE, d'établir les lois mathématiques décrivant ces
mouvements. Celui-ci construit un système de sphères homocentriques qui rend compte
du mouvement de Jupiter et de Saturne (correctement), de Mercure (moyennement) et
de Mars et Vénus( assez mal). Peut-être est-ce ces imperfections qui conduisent
HERACLIDE a rejeter cette représentation, et à renouer avec l'approche "révolutionnaire"
de PHILOLAOS qui écartait la Terre du centre de l'Univers. Pour HERACLIDE l'Univers
est infini, et chaque étoile du ciel à ses propres planètes. Le ciel est fixe, c'est
la Terre qui tourne, avec autour d'elle d'abord la Lune, ensuite le Soleil avec autour
de lui les autres planètes. Ces idées étaient à cette époque débattues, comme d'autres
problèmes, sans aucune incidence religieuse ; simplement, il semble bien qu'elles
soient restées minoritaires ou en position de faiblesse par rapport aux idées dominantes.
il faut dire que l'ordre établit était alors du côté de PLATON et de son disciple,
contemporain d'HERACLIDE, le monument de la pensée occidentale pour plus deux millénaires
à venir : ARISTOTE.
ARISTOTE, après avoir été l'élève de PLATON dans son "Académie" d'Athènes, part voyager
(nous dirions peut-être aujourd'hui en "post-doc" !). Il revient à Athènes, et fonde
le célèbre "Lycée" après avoir été précepteur du futur Alexandre Le Grand dans la cour
de Macédoine. C'est un érudit respecté et reconnu qui écrit de très nombreux ouvrages
qui s'imposeront comme la "Référence des Savoirs" durant tout le Moyen-Âge, (souvent
au travers de traductions édulcorées et qui gommeront les contradictions pour ne laisser
subsister que le terme conforme au dogme). ARISTITE reprend pour l'essentiel le point
de vue philosophique "idéaliste" de PLATON, mais il y rajoute des compléments contradictoires,
notamment une revalorisation de la mesure et une approche raisonnée déductive, ancêtre du
"raisonnement scientifique". Ainsi, pour la sphéricité de la Terre, ARISTOTE la fait découler
d'un principe d'harmonie (comme PLATON), mais aussitôt après s'empresse de l'argumenter :
- elle résulte du fait que ses parties sont toutes également attirées par le centre de la Terre,
- elle est attestée par la forme de son ombre sur la Lune lors des éclipses,
- elle est suggérée par l'apparition d'étoiles nouvelles lors du déplacement Nord-Sud.
Sa représentation de l'Univers reprend pour l'essentiel celle de PLATON, complétée par son
modèle cinématique d'EUDOXE et de CALLIPE. L'Univers est borné, sphérique, centré sur une
Terre sphérique mais immobile. Les sphères géométriques d'EUDOXE prennent une existence
physique, avec de nouvelles sphères de couplage qui portent à 56 le nombre total de sphères
"dont les rotations uniformes sont entretenues par des intelligences". La partition de
l'Univers est reprise :
- l'espace sublunaire constitué dans l'ordre, de la Terre, de l'eau, l'air et le feu,
- l'espace supralunaire, soit le ciel, domaine invariant des astres et occupé par le cinquième élément, la quintessence ou éther.
C'est la représentation qui sera conservée jusqu'au XVII<sup>ème</sup> siècle.
ARISTOTE insiste sur la différence de nature entre le monde sublinaire, domaine
de la génération et de la corruption, et le monde supra lunaire, domaine de l'éternité
et siège d'aucune altération. Cette représentation devenue dogme n'empêche t-elle pas
les érudits Européens du X<sup>ème</sup> siècle "de voir" l'explosion de la supernova
du Crabe, étoile nouvelle tellement brillante qu'elle se voyait en plein jour d'après
les témoignages des astronomes chinois ?
L'influence d'ARISTOTE fut capitale pour le moyen âge mais aussi dès son vivant,
et elle ne fit que s'amplifier dans les dizaines d'années qui suivirent sa mort.
La possession de ses œuvres originales devint en jeu culturel, de prestige et de
politique ; ainsi les bibliothèques qui se développèrent au second siècle avant
notre ère se disputèrent ses œuvres (voir CANFORA, 1988). Mais du vivant d'ARISTOTE,
les idées avancées étaient objet de débat. Ainsi, à sa Terre centrale et immobile,
à son Univers borné, son contemporains HERACLIDE DU PONT opposait une Terre en
rotation dans un Univers infini avec un ciel immobile formé d'une multitude d'étoiles,
chacune ayant ses propres planètes... Cette émulation n'a-t-elle pas apporté une
contribution bénéfique au développement de méthodes rationnelles de recherche ?
N'a-t-elle pas profité, notamment à ARISTOTE, pour pousser plus loin la nécessaire
argumentation, toujours recommencer dans son œuvre écrite ? Cette méthode d'exposition
d'une thèse par un raisonnement argumenté (qui se différencie progressivement dans
l'oeuvre d'ARISTOTE de la spéculation platonicienne) se retrouve dans les textes d'EPICURE.
Ce jeune homme de 19 ans à la mort d'ARISTOTE adopta le courant de pensée amorcé avec
ARISTIPPE de Cyrène, l'un des élèves de SOCRATE. Il fonde l'école du Jardin et donne
un essor considérable au courant philosophique du matérialisme. Pour EPICURE, la
sensation (la mesure) est au noeud de la connaissance. "Le monde a toujours été
et sera toujours". L'Univers infini est formé de vide et d'atomes. Il renoue avec
l'école atomiste de LEUCIPPE et de son élève DEMOCRITE (IV<sup>ème</sup> siècle -
V<sup>ème</sup> siècle avant notre ère). Il énonce une théorie cosmogonique de
formation des astres par agrégats d'atomes lors de rencontres fortuites résultant
de tourbillon primordiaux. Il évoque la pluralité des mondes. À son argumentation
"physique" ("d'études de la nature") est associé à plaidoyer humaniste. Il sépare
l'approche astronomique de son double siamois l'astrologie. Il ironise et combat
la croyance astrologique qu'il traite de "puérilité". Il contraint l'argumentation
à l'épreuve des faits :
- "car il ne faut pas conduire l'étude scientifique au moyen d'affirmations vides
et de principes arbitraires, mais suivre les phénomènes",
- " ... quand on accepte une théorie pour en rejeter une autre qui s'harmonise
tout aussi bien avec le phénomène, Il est évident qu'on abandonne absolument
le sentier de la recherche scientifique pour recourir au mythe..."
Comment ne pas être frappé par la modernité et la pertinence de telles phrases ?
Avec le recul du XX<sup>ème</sup> siècle et la connaissance de tous les errements
qui ont suivi cette époque de l'Antiquité grecque, comment ne pas trouver dans
les textes d'EPICURE des sujets forts pour la réflexion d'aujourd'hui ?
Ainsi EPICURE, sans accomplir lui-même des mesures astronomiques a-t-il contribué
d'une manière décisive à la formation d'une méthodologie de recherche qui réhabilite
l'observation et l'expérimentation ("en suivant les phénomènes") contradictoirement
à la démarche spéculative prônée par PLATON. Cette composante qui ramène sans cesse
l'argumentation vers l'épreuve des faits constitue l'un des deux termes majeurs
du mouvement contradictoire de la pensée humaine, écartelée entre la nécessité de
confronter ses représentations à la réalité et à la volonté d'aller au-delà des
apparences par la nécessaire abstraction. Ce courant de pensée structuré notamment
par EPICURE a joué un rôle essentiel dans les dynamiques qui ont conduit aux grandes
avancées des connaissances. Remarquons que le co-fondateur avec EPICURE de cette
école de pensée, ARISTIPPE (ou peut-être l'un de ses descendants) a fondé l'école
de Cyrenaïque dont l'influence fut très importante et qui a, sans doute, marqué la
formation d'érudits aussi important que CALLIMAQUE et ERASTOSTHENE, irriguant ainsi
de ce courant de pensée le premier "centre de recherche" de l'époque, le fameux "musée"
associé à la bibliothèque d'Alexandrie (et dont la création remonte au règne de
PTOLEMEE SOTER premier roi d'Égypte de la dynastie des Lagides, juste après la
venue dans ce pays dans ce pays d'Alexandre Le Grand vers 332 avant notre ère).
ERATOSTHENE est devenue célèbre en mesurant le périmètre de la Terre avec une précision
tellement remarquable (de l'ordre du pourcent) que l'analyse de la procédure de mesure
n'a pas fini de faire l'objet de recherche (voir la fiche bibliographique à "ERATOSTHENE").
Mais cet érudit n'a pas été qu'un simple géomètre astronome, et sa vie bien remplie
le vit aussi tour à tour précepteur de l'héritier du trône d'Égypte et directeur
de la Grande Biibliothèque d'Alexandrie. Il concrétise le profil classique à ses
époques (et à d'autres...), d'érudits au spectre très large allant de l'astronomie
à la poésie en passant par la physique, les mathématiques et la géographie. Le résultat
célèbre d'ERATOSTHENE illustre tout le succès des progrès accomplis dans une démarche
"nouvelle" d'investigation fondée sur la mesure, aboutissement des débats d'idées
des époques, respectivement archaïque, classique et hellénistique (début) de l'Antiquité
grecque. De fait, la réelle avancée ayant permis l'action ("mesure") était de l'ordre
conceptuel et non "technique" au sens étroit et restrictif de l'appareil (ou outil
matériel) utilisé ; en effet, ce dernier n'était autre qu'un gnomon, connu depuis
au moins un millénaire. L'avancée était
1. d'imaginer la Terre sphérique avec un Soleil assez loin,
2. de savoir que les méridiens de Syène et d'Alexandrie étaient voisins,
3. de concevoir une démarche de recherche fondée sur la mesure et non la spéculation
(ce qui voulait dire à la fois le respect des phénomènes au sens épicurien, et la
capacité d'abstraction de construire par avance un modèle du projet accomplir avec
une estimation des moyens nécessaires à son accomplissement.
Mais l'avancée conceptuelle seule ne suffisait pas, il fallait __en plus__ des moyens économiques, c'est-à-dire à la fois une société ayant atteint un seuil de développement ( structuration et production de richesse) suffisant et une décision positive du pouvoir politique de mettre à la disposition de "la recherche" les moyens nécessaires pour permettre l'avancée ! Cet exemple montre toute la complexité des mécanismes qui "permettent" une avancée des connaissances ; avec une composante essentielle qui établit, dans la vie concrète, la relation entre la recherche et la société. Omettre dans l'analyse du mouvement des connaissances et, à fortiori, du développement de l'instrumentation "lourde" qui l'accompagne cette composante socio-économique, c'est se priver des moyens d'accéder à des dynamiques dominantes et se condamner à des spéculations portant sur une réalité mutilée.
D'une trentaine d'années l'ainé d'ERATOSTHENE, ARISTARQUE de Samos aurait été l'élève de STRATON de lampsacque (à Athènes ou à Alexandrie ?), celui-là même qui prit la direction du Lycée d'ARISTOTE (entre -288 et -284) à la mort de THEOPHRASTE, après avoir été le précepteur de l’hériter royal d'Alexandrie.
ARISTARQUE combine la mesure d'angles Soleil / Lune lors du premier quartier avec d'autres lors d'éclipses de Lune (voir le détail de la méthode dans Gapaillard, 1993). Les mesures d'angle sont étonnamment imprécises (de 1 à 3 degrés d'arc). Il les utilisent ensuite dans une description mathématique des phénomènes, pertinente, même si la non-connaissance de la trigonométrie plane (découverte un siècle plus tard par HIPPARQUE) la rend laborieuse. À partir de ces résultats, il est possible d'estimer les distances du Soleil et de la Lune en fonction du rayon de la Terre. Les résultats implicites d'ARISTARQUE forcent à l'admiration. Les ordres de grandeur sont atteints même si des erreurs d'un facteur 2 à 3 résultent, pour l'essentiel de l'imprécision des mesures. Comment expliquer des erreurs de 2 à 3 degrés d'arc quand on sait que des instruments rustiques avec la limitation de l'oeil humain permettent d'atteindre mieux que la dizaine de minutes d'arc ? Il est probable que l'explication est à chercher dans les concepts qui sont à l'origine des procédures utilisées. Peut-être le statut ambigu de l'observation des phénomènes, en contradiction (pour au moins une part...) avec le point de vue philosophique idéaliste, hérité de la doctrine d'ARISTOTE et de PLATON y est-il pour quelque chose? Pourtant, ARISTARQUE manifesta une indépendance d'esprit qui le conduisit à proposer, pour la première fois, un système du monde héliocentrique. Pour lui, seule la Lune tourne autour de la Terre, alors que toutes les planètes y compris la nôtre tourne autour du Soleil. Cette proposition reçut plus d'hostilité que de sympathies. Le mouvement de la Terre était une idée difficile à admettre. Elle s'opposait à la perception directe de l'expérience banale, et elle avait été condamnée par celui qui devenait de plus en plus le maître à penser : ARISTOTE. De plus, la proposition d'un monde héliocentrique était contraire au dogme religieux en vigueur à l'époque, au point qu'un texte fut écrit par CLEANTE D'ASSOS, proposant de condamner ARISTOTE pour impiété (déjà !). Il semble que seul l'astronome babylonien SELEUCOS ait manifesté un accord avec ce monde héliocentrique.
Une quarantaine d'années après la mort d'ARISTARQUE naquit un autre monument de l'astronomie antique : HIPPARQUE de Nicée. À son passif il faut noter son rejet catégorique du modèle d'ARISTARQUE avec son attachement réaffirmé d'une Terre centrale et immobile. Mais de nombreuses avancées sont à porter à son actif ; il fut l'inventeur de la trigonométrie plane, le découvreur de la précession des équinoxes et l'auteur d'un premier grand catalogue connu des étoiles classées par leur magnitude et leur position dans le ciel. Il place le Soleil sur une orbite circulaire excentrée par rapport à la Terre et estime son déplacement annuel (par rapport aux étoiles) à 36 secondes d'Arc (la valeur réelle pour son époque est de l'ordre de 50). Il introduisit en Grèce la division du cercle en 360 degrés chacun divisé en 60 minutes et chacune en 60 secondes d'arc. Ses résultats et son catalogue révèlent de réels progrès dans la méthodologie des mesures réalisées. On connaît mal celle-ci, de même que les instruments qu'HIPPARQUE avait (ou avait fait) utiliser, mais il semble bien que les progrès ont permis d'accroître considérablement la précision (d'un ordre de grandeur?). Lorsqu'HIPPARQUE meurt, ver 126 avant notre ère, un transfert des savoirs s'opère entre la civilisation hellénistique et la République romaine en plein essor. Des personnes comme le grec et syrien POSIDONIOS d'Apamée y contribuèrent beaucoup. On doit cet érudit une nouvelle évaluation du périmètre de la Terre qui sera transmise par les Arabes à l'Europe occidental du Moyen-Âge (alors que celles d'ERATOSTHENE fut oubliée, avant d'être redécouverte vers le XIV<sup>ème</sup> siècle). Son enseignement marqua de nombreux penseurs du monde greco-remain comme CICERON, VIRGILE et LUCRECE. Ce dernier est l'auteur du très célèbre "De natura rerum", oeuvre majeure et encyclopédique, sorte d'exposé synthétique du courant de pensée matérialiste de l'Antiquité gréco-romaine. Elle est une pierre angulaire de ce courant qui va de l'atomisme grec de LEUCIPPE et DEMOCRITE aux humanistes de la renaissance du XVI<sup>ème</sup> siècle et à nos jours, en passant bien sûr par ARISTIPPE et EPICURE.
L'approche exposée par LUCRECE, reprise d'EPICURE, complétée précisée, constitue un des fondements majeurs des conceptions philosophiques implicites sur lesquelles reposent les sciences contemporaines. Ce n'est pas le lieu ici d'entrer dans le détail sur ce point ; la lecture du texte de LUCRECE "De la nature" est édifiante !
Avec l'époque de LUCRECE s'achève une période de plus de cinq siècles durant laquelle le foisonnement des idées (notamment celles relatives à l'astronomie) a été florissant et la production d'acquisitions nouvelles du savoir paraît continue. Près de deux siècles vont s'écouler, pendant que s'affirme l'hégémonie de l'Empire romain, sans que des événements originaux ou même remarquables concernant l'astronomie puisse être identifiés. Certes, la grande bibliothèque d'Alexandrie continue d'être un Centre actif, mais il faut attendre Claude PTOLEMEE, au second siècle de notre ère, pour percevoir dans la cité d'Alexandrie une activité astronomique novatrice. L'explication d'une telle éclipse de près de deux siècles précédant une autre, beaucoup plus longue de treize ou quatorze siècles n'est pas sans poser de nombreux problèmes ! À ce jour, aucune argumentation cohérente complète n'existe ; nul doute qu'il y a là de beaux thèmes de recherche pour l'histoire des sciences...
Toujours est-il qu'au premier jour du second siècle de notre ère naquit à Alexandrie Claude PTOLEMEE. Beaucoup plus tard et parfois jusqu’à un passé récent, il fut confondu avec les Ptolémée, rois d'Égypte de la dynastie des Lagides (des trois derniers siècles avant notre ère) et c'est pourquoi on le voit couronné en souverain sur beaucoup d'illustrations. Claude PTOLEMEE réalisa une synthèse créatrice des savoirs astronomiques de l'antiquité gréco-romaine. Son principal ouvrage, l'Almageste, traduit d'abord du grec à l'arabe puis de l'arabe dans la langue latine, devint le principal recueil des savoirs astronomiques de l'Europe occidentale du III<sup>ème</sup> au XVI<sup>ème</sup> siècle. Il constitue un exposé des représentations de l'Univers, mais aussi une compilation de mesures astronomiques, beaucoup ayant probablement été accomplies sous la direction de PTOLEMEE. Il reprend le système géocentrique d'HIPPARQUE, qui résultait lui-même de la tradition remontant à PLATON, complétée par EUDOXE et ARISTOTE et à laquelle APPOLONIUS avait apporté un rajout essentiel. Ce directeur de la bibliothèque d'Alexandrie avait remplacé le système des sphère homocentrique d'EUDOXE en rotation uniforme, par des mouvements circulaires uniformes comportant pour chaque astre deux cercles. Chaque astre (planètes, L'une et Soleil) est supposé tourner à une vitesse constante sur un cercle nommé épicycle, dont le centre se déplace à vitesse angulaire constante sur un autre cercle, coplanaire et centré sur la Terre, nommé déférent.
Notons que ce modèle cinématique est strictement équivalent à un modèle héliocentrique de rotation circulaire des planètes à vitesse angulaire constante, du point de vue de la perception qu'il est possible d'avoir depuis la Terre (voir Gapaillard 1993, et fiche biographique de PTOLMEMEE). C'est à dire qu'en toute première approximation, ce modèle géocentrique rend compte aussi bien de la cinématique des planètes vues depuis la Terre, qu'un modèle héliocentrique. En seconde approximation on sait bien, aujourd'hui, que l'ellipticité des orbites va induire des différences avec de tels modèles équivalents. Ces différences ont été perçues par les mesures de l'époque. Aussi PTOLEMEE modifie t-il le modèle simple d'APPOLONIUS en substituant à la rotation uniforme du centre de l'épicycle une rotation sur le déférent (centrée sur la Terre) avec une vitesse angulaire constante définie par un rayon vecteur dont l'origine n'est plus le centre du déférent mais un point nommé équant, symétrique de la Terre par rapport au niveau au centre du déférent ; de plus, les plans, respectivement de l'hémicycle et du déférent, deviennent distincts et séparés. Dans ce modèle, mieux ajusté aux observations disponibles, la Terre reste au centre de la sphère céleste. Dans l'Amalgeste, elle conserve aussi une immobilité parfaite ("la Terre ne peut avoir aucun mouvement"), mais cette position ne résulte en rien du modèle. Pourtant, durant tous les Moyen-Âge, pour combattre l'idée du mouvement de la Terre on utilisera l'argument que le modèle de PTOLEMEE rend bien compte des observations ! ...
La fixité de la Terre ne résultait en rien du modèle, Celui-ci donnait une représentation cinématique (rendant compte uniquement du mouvement sans aborder ses causes, la "dynamique") tout à fait conforme aux observations, compte tenu de leur précision. Connaissant aujourd'hui les valeurs des écarts entre la réalité et le modèle, il est possible d'estimer la précision des mesures d'angle de PTOLEMEE : de l'ordre de la dizaine de minutes d'arc. C'est à peu près ce que l'on peut faire de mieux avec des instruments à l'échelle humaine et une méthodologie minutieuse sans être trop contraignante (comme par exemple sur les effets thermo-élastiques des instruments) ou trop rigoureuse sur les corrections (comme par exemple la réfraction atmosphérique. Ce modèle, appuyé sur les observations, permet d'estimer les rayons des orbites des planètes (dans l'approximation circulaire, et normalisés par rapport à celui de la Terre) à mieux de 4% (voir fiche bibliographique "PTOLEMEE"). Mais à ses estimations pertinentes (et admirables si l'on songe à l'époque), PTOLEMEE ajoute par une voix spéculative (non contrainte par les observations) une évaluation des rayons des orbites exprimés en rayons terrestres : les valeurs sont fausses de plusieurs ordres de grandeur ! On a là un exemple patent des errements auxquels peuvent conduire des spéculations abstraites dès lorsqu'elles perdent l'adhérence avec la réalité accessible par la mesure ! Il n'empêche que le modèle sophistiqué de PTOLEMEE était tout à fait satisfaisant pour rendre compte des observations accessibles à l'époque ; aussi sa validation était-elle, alors, aussi pertinentes que celle d'un modèle héliocentrique "aussi pertinente, c'est à dire n'est plus ni moins". Toutefois il s'imposa comme le seul modèle acceptable (ce qui fut totalement abusif) jusqu'à la remise en cause révolutionnaire de COPERNIC vers 1510. Notons que cette remise en cause se fondait davantage sur une vision abstraite du système solaire que sur des résultats observationnels nouveaux ; le modèle de COPERNIC ne rendait pas mieux compte des observations qui, pour l'essentiel, étaient les mêmes que celles compilées par PTOLEMEE... Mais de PTOLEMEE à COPERNIC, plus de 13 siècles vont s'écouler. Une régression spectaculaire va s'opérer. Les connaissances sont astronomie vont s'appauvrir au point de faire dire à GAIPALLARD (1993) qu'au Moyen-Âge chrétien" ... en ce qui concerne l'astronomie ... le niveau des connaissances a régressé à ce qu'il était vers l'époque de THALES".
Pourtant, l'essor culturel du monde gréco-romain ne s'arrête pas brutalement à l'époque de PTOLEMEE, même si un ralentissement est déjà nettement perceptible, Alexandrie demeurent un Centre actif, où cohabitent plusieurs langues (grec, égyptien, latin) et plusieurs ethnies. Mais, avec l'emprise hégémonique de la religion monothéiste chrétienne devenant la religion d'État, les tensions apparaissent. À la pluralité d'opinions, de cultures, de philosophies, de religions, ce substitue peu à peu une seule "Vérité". Forcément appauvrit, cette représentation dogmatisée du monde efface les contradictions par un combat d'idées qui, très vite, se tranche par la force. Ainsi , au V<sup>ème</sup> siècle, à Alexandrie, HYPATIE (qui passe pour être la "première femme astronome") est assassinée en 415 par une foule de chrétiens. Elle était la fille de THEON, dernier responsable connu de la bibliothèque et du musée. Peu après, à la même époque (vers la fin du IV<sup>ème</sup> siècle), l'empereur romain THEODOSE interdit l'usage de l'égyptien : les derniers hiéroglyphes gravés, cette écriture va sombrer dans l'oubli forcé (au point de nécessiter les efforts de recherche bien connus et les succès de CHAMPOLLION au XIX<sup>ème</sup> siècle, pour redécouvrir le sens de cette écriture et pouvoir la traduire à nouveau).
La fusion dans une autorité unifiée du pouvoir politique (de l'empereur romain) et d'une idéologie universaliste (la religion chrétienne) induit de fait une élimination physique de tous les courants de pensée qui ne représentent pas une parfaite conformité avec la "Vérité". Et qu'il est facile d'avoir un point de non-conformité dès lors que des idées sont émises en dehors du cadre hiérarchique du pouvoir ! Aussi, l'Empire romain s'engage-t-il dans une sclérose des savoirs avec des réductions et des pertes irrémédiables. Le dogme devenu loi est implacable pour la pluralité des savoirs et des approches, en un mot, pour la recherche de connaissances nouvelles. SAINT AUGUSTIN vers l'an 400 traduit bien le point de vue dominant: " ... il n'est pas nécessaire de sonder la nature des choses comme le faisaient les grecs que l'on appelle que l'on appelle physico ... / ... aux chrétiens il suffit de croire que la seule cause de toute chose, dans le ciel ou sur la Terre visible ou invisible, est la bonté du Créateur ..."
#### 5 - L'astronomie du moyen âge et son instrumentation
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#### 5 - L'astronomie et son instrumentation<br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; au Moyen Âge Ainsi, vers le V<sup>ème</sup> siècle de notre ère s'ouvre une période sombre qui durera plus de dix siècles, durant lesquels les débats d'idées (masquant presque toujours des enjeux politiques et économiques) sont tranchés le plus souvent par la force brutale. Certes, il faut nuancer. Ainsi, des domaines de la culture restent marginalement concernés par la "Vérité révelée" : la poésie, la musique, l'art en général, vont pouvoir poursuivre un développement, même si celui-ci est freiné, bridé ou ralenti. D'autres répondent à un besoin économique direct : la métallurgie par exemple, qui continue à progresser. Mais beaucoup, comme l'astronomie, se heurtent de plein fouet au textes sacrés détenteurs de la vérité. La seule activité envisageable sera bientôt l'interprétation des textes désignés comme la référence. D'autant que le point de vue philosophique qui s'est imposé est celui (en plus très appauvri) du courant idéalisme qui fait du Dieu éternel le créateur et l'ordonnateur de toute chose. Dans ces conditions, (outre le risque physique auquel on s'expose) à quoi peut bien servir d'observer la nature, le ciel ou les astres ?Aussi les yeux vont-ils se fermer, pour l'astronomie du monde chrétien, jusqu'à la Renaissance. Lorsqu'il s'ouvriront, par exemple avec GALILEE, ce sera un conflit, avec un jugement et des sanctions. Cette cécité sera telle que le phénomène astronomique spectaculaire de l'explosion de la supernova du crabe vers l'an mil n'est mentionné par aucun texte connu du monde chrétien. Il faut dire que les textes de référence pour l'astronomie étaient ceux d'ARISTOTE (appauvris dans des traductions édulcorées) qui proclamaient une sphère des fixes invariante de tout éternité !Ainsi, l'apport de la chrétienté des siècles V à XVI est-il infime dans le secteur de l'astronomie. On a du mal à mesurer ce que les pertes des savoirs de l'Antiquité gréco-romaine auraient pu être, si, à côté de l'Europe chrétienne ne s'était pas développées de riches civilisations islamiques.
<br><br> C'est en 476, lorsque ODOACRE dépose le jeune empereur romain d'Occident ROMULUS AUGUSTULE et soumet Rome à l'empereur d'Orient (de BYZANCE) qu'on a coutume de voir la fin de l'Empire Romain. Depuis déjà un siècle la division Rome / Byzance s'est amorcée. Des deux côtés des tensions politiques et religieuses s'accroissaient. L'unité de la religion chrétienne. n'était qu'apparente et de multiples luttes de tendance s'opéraient : des particularismes locaux existaient en grand nombre dans ce vaste empire qui se déchirait. Dans ce contexte troublé, dans l'Arabie du VII<sup>ème</sup> siècle un prophète (parmi d'autres qui ont existé), Mahomet s'avère un efficace homme politique et un redoutable chef militaire.
#### 6 - Les révolutions de l'astronomie<br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; à la Renaissance Dans la plus pure tradition des religions monothéistes, à côté du judaïsme et du christianisme, il contribue à fonder l'islam, religion associée dès son origine à l'organisation d'un nouvel état. Cet état s'étend très vite pour devenir un vaste empire gouverné par les califes d'Arabie, puis par les Omeyyades, les Abbassides et enfin les Ottomans. Fondé vers 610, cette religion-Etat étend son influence sur le Proche-Orient et la partie orientale de la Méditerranée à une vitesse fulgurante. Entre 632 et 642, l'Egypte par exemple est conquise. Progressant par l'Afrique du Nord, les Arabes musulmans arrivent en Espagne et s'empare de Cordoue en 711. L'Emirat Omeyyades de Cordoue, dont l'apogée se situe au X<sup>ème</sup> siècle, jouera un rôle essentiel dans la diffusion de la culture de l'Antiquité gréco-romaine vers l'Europe chrétienne du Moyen-Âge. Dans un premier temps, l'Islam, comme le christianisme, affiche les ambitions totalitaires d'une idéologie à vocation universelle. Ainsi, dans sa réponse au conquérant d'Alexandrie, AMROU, sur le sort à réserver au livre de la bibliothèque, le calife OMAR écrit-il "si leur contenu est en accord avec celui d'Allah, nous pouvons nous en passer puisque dans ce cas le livre d'Allah, le Coran, est plus que suffisant. S'ils contiennent, au contraire, quelque chose de différent, il n'est aucun besoin de les garder. Agit et détruit-les". On dit qu'il fallut six mois pour brûler tous ces livres dans les thermes d'Alexandrie (Canfora, 1988).
<br><br> Mais après une période très courte d'intransigeance totalitaire, les rigueurs dogmatisme du pouvoir politico-religieux s'éloignent des domaines de la culture comme l'art et beaucoup de disciplines "scientifiques" dont notamment l'astronomie. En philosophie, une source de renouveau va très vite être cherchée dans les textes grecs, avec une ouverture d'esprit surprenante, si on compare à ce qui existe à la même période dans l'Europe chrétienne. Le monde islamique jouera ainsi un double rôle en astronomie. D'une part il préservera, puis diffusera par le biais de traduction arabe les œuvres gréco-romaines. D'autre part il poursuivra le développement d'une astronomie, principalement sur les plans de l'instrumentation et de l'observation. Deux branches d'expansion vont se dessiner. L'une passe par l'Afrique Nord qui s'épanouit dans la péninsule ibérique. L'autre relie le Proche-Orient à l'Inde et au sud de la Sibérie. C'est ainsi qu'à la fin du VII<sup>ème</sup> siècle, les Arabes conquièrent la Perse et découvrent l'astronomie indienne qui avait depuis l'époque Hellénistique, un développement particulier; relativement autonome ; elle reste mal connue et des recherches mériteraient d'être faites. C'est au IX<sup>ème</sup> siècle que fleurissent les traductions arabes des textes grecs. (la première traduction de l'Almageste de PTOLEMEE remonte à 827) et que commencent à être construits des observatoires astronomiques à Bagdad et à Damas. Des astronomes arabes vont devenir célèbres en accomplissant des mesures dont la précision s'accroît par rapport à PTOLEMEE. Au XX<sup>ème</sup> siècle, AZOPHI réalise un catalogue d'objets célestes dans lequel figure la Grande Nébuleuse d'Andromède, et qui est à l'origine de la plupart des noms actuels des étoiles. Quelques dizaines d'années plus tard ALHAZEN conduit une critique de la précision des mesures de PTOLEMEE. Il conteste ses procédures et découvre la réfraction atmosphérique. Il identifie aussi les incohérences de l'Almageste et les Hypothèses Planétaires de PTOLEMEE. Il est surprenant de constater que l'astronomie arabe du IX<sup>ème</sup> au XV<sup>ème</sup> siècle a apporté une contribution soutenue au développement instrumental sans avoir été en mesure de faire franchir un pas qualitatif au contenu des connaissances. Deux raisons peuvent être invoquées. La première est, qu'avec PTOLEMEE, une sorte de perfection est atteinte dans la méthodologie, compte tenu des limitations technologiques. Les nouveaux instruments astronomiques conçu et réalisé n'apportent qu’une amélioration quantitative en précision (ou en commodité d'utilisation propice, à un usage en voyage). Ainsi, avec les astrolabes portatifs du VII<sup>ème</sup> / VIII<sup>ème</sup> siècle devient-il possible de mesurer l'élévation d'un astre sur l'horizon depuis plusieurs sites. Cette amélioration sert plus la géographie que l'astronomie. C'est aussi l'époque où apparaissent les grands cadrans dont les dimensions atteindront plusieurs mètres vers le XV<sup>ème</sup> et le XVI16<sup>ème</sup> siècle en Perse ou à Samarkand, conquête islamique en 712, dévastée en 1220 par GENGIS KHAN, redevenue islamisque ensuite, pour être au XV<sup>ème</sup> siècle la cité la plus brillante de l'Asie centrale. Vers 1420, les moyens accordés par le prince OULOUGH-BEG permettent la construction de vastes dispositifs en maçonnerie pour la mesure des angles formés par les directions des astres. L'un d'eux mesuré environ 54 mètres de haut, ce qui illustre bien que le gigantisme dans les instruments d'astronomie de date pas du XX<sup>ème</sup> et XXI<sup>ème</sup> siècles ... Les constructions d'observatoires en Asie se sont maintenus pendant de nombreuses siècles, notamment en Inde ou les établissements de New Deli et de Jaipur (XVIII<sup>ème</sup> siècle) sont devenus célèbres. En Chine aussi les vestiges sont là pour en témoigner, mais l'histoire de l'astronomie de ces pays reste encore mal connue. La deuxième raison qui a freiné les acquisitions nouvelles de connaissances aux astronomiques, malgré le développement de l'observation, a probablement sa source dans les limitations résultant de la méthodologie de mesure employé. Les altérations résultant de la réfraction atmosphérique sont identifiées par ALHAZEN, mais des procédures rigoureuses de mesure ne sont pas établies. En passant des cercles gradués de quelques décimètres des grecs du troisième siècle avant notre ère, aux grands cadrans arabes du VIII<sup>ème</sup> siècle, la précision de la mesure peut passer de deux à trois dizaines à quelques minutes d'arc. Mais la mesure du temps reste approximative et les efforts permettant de mettre en œuvre une méthode de mesure très rigoureuse ne sont probablement pas justifiés par une conception rationnelle de l'observation pour pouvoir être accomplis. Pourtant les observations n'ont cessé de se multiplier dans le monde islamique. Les progrès furent continuent mais seulement quantitatifs. Sans doute un verrou épistémologique empêcha t-il de fédérer les efforts pour franchir le saut qualitatif que franchirait au XVI<sup>ème</sup> siècle TYCHO-BRAHE. Simultanément à la construction des observatoires de Bagdad et de Damas au IX<sup>ème</sup> siècle, la péninsule ibérique connaît aussi l'essor de l'astronomie. Dans le riche Emirat de Cordoue, l'astronomie bénéficie des moyens et d'une attention soutenue. Au XI<sup>ème</sup> siècle, alors que commencent à s'ériger les premières abbayes romanes des Pyrénées Catalanes, en Castille islamique, AZARQUIEL établit les "Tables de Tolède", vaste compilation qui sert de base pour proposer une oscillation du plan de l'écliptique. Les échanges culturels se multiplient sur le sol de la péninsule ibérique entre la riche civilisation musulmane et les mentalités beaucoup plus frustres des royaumes chrétiens de Castille et d'Aragon. C'est ainsi que, grâce à la coopération des astronomes du monde islamique, se termine en 1272 la première production astronomique importante de l'Europe chrétienne : les Tables Alphonsine, du nom de souverain du royaume de Castille et de Léon : ALPHONSE X LE SAGE ; imprimées en 1483. elles vont constituer une référence astronomique majeure pendant trois siècles. Le XIII<sup>ème</sup> siècle constitue une charnière pour l'Europe chrétienne qui va découvrir, via les textes arabes, une astronomie fondée sur les connaissances de l'antiquité gréco-romaine mais enrichie par des compilations d'observations nouvelles, sensiblement améliorées en précision. Des érudits comme le catalan, Ramond LLULL vont devenir polyglottes et jouer un rôle éminent pour transférer les savoirs de l'arabe au latin et même directement dans les langues romanes (voir par exemple le "Llibre de Meravelles" de Ramon LLULL). Au courant principal passant par la péninsule ibérique, s'en ajoute bientôt un autre, traversant l'Italie, pour irriguer petit à petit toute l'Europe chrétienne de la fin du Moyen-Âge. Aux textes écrits dès le XII<sup>ème</sup> siècle qui donnaient une représentation naïve et christianisée de l'astronomie (De imagine mundi d'Onorius d'AUTIN, Ymago mundi de Pierre D'AILLY, Le livre du Trésor de Brunetto LATINI, Sphaera mundi de Jean de SACRABOSCO) s'ajoutent au XV<sup>ème</sup> siècle des traductions directes (mais souvent résumées) des textes grecs originaux (par exemple, l'epitomé in Almageste de REGIOMONTANUS).
#### 7 - L'astronomie et son instrumentation<br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; l'essor aux Temps modernes Aristote est devenu une référence, reconnue par l'Église catholique même si c'est parfois par le biais d'une interprétation bien orientée. D'abord objet de vénération incontestée (dans le monde chrétien), le XIV<sup>ème</sup> siècle connaît le début d'une remise en cause, principalement de ses thèse portant sur la physique. BURIDAN conteste la mécanique d'ARISTOTE et propose une théorie de "l'impétus" qui préfigure le principe de conservation de la quantité de mouvement, et qui n'est pas sans rappeler des propositions épicuriennes. ORESME, représentant le plus marquant de l'Humanisme de la première Renaissance, propose que la Terre puisse être en mouvement avec une argumentation tout à fait pittoresque (voir fiche biographique). L'évocation d'un "principe d'économie" évoque le futur "principe de moindre action" fondant la mécanique. Mais la vraie révolution en astronomie, devenue célèbre, et celle de COPERNIC.
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#### 8 - La place de l'instrumentation<br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; dans l'histoire de l'astronomie #### 6 - Les révolutions de l'astronomie à la Renaissance
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Rédigé entre 1509 et 1512, le "Commentariolus" de COPERNIC propose un monde héliocentrique. Cette vision déjà soutenue par ARISTARQUE dix-sept siècles plus tôt, allait mettre près de deux siècles pour s'imposer à l'issue d'un combat contre la vision officielle de l'Église Catholique. Il est intéressant de noter que l'argument pour répondre à l'objection de la parallaxe des étoiles (qui consiste à multiplier par 65 la distance, supposée par PTOLEMEE, à la sphère des étoiles) avait aussi été exprimé par ARISTARQUE. Ce qui va choquer le plus le dogme dominant sera la mise en mouvement de la Terre et sa sortie du centre du monde. Cette rupture sera d'autant moins appréciée par l'autorité qu'elle n'obéit à aucune nécessité observationnelle. Nous avons déjà évoqué avant qu'une description géocentrique aménagée (PTOLEMEE) rendait aussi bien compte des observations que la représentation héliocentrique (ARISTARQUE et COPERNIC) si nous nous en tenons au simple niveau cinématique, ce que fait COPERNIC. De fait, sa proposition apparaît plus comme une révolution conceptuelle relative à la place des hommes dans l'Univers que comme un modèle plus élaboré rendant mieux compte des observations. Le "Commentariolus" et le "De revolutionibus orbium coelestium" constituent davantage une brisure du paradigme officiel assignant, aux hommes, une place particulière dans l'Univers, conforme au dogme religieux, qu'une nouvelle théorie scientifique destinée à rendre mieux compte des mesures. C'est probablement cela l'essentiel qui motiva la mise à l'index, par l'Église catholique, de ces ouvrages. Il est probable que COPERNIC en vint à ce point de vue par une réflexion qui le conduisit à trouver "plus naturel", "moins artificiel", un système héliocentrique que l'ancien géocentrique, compte tenu du système idéologique (implicite?) qui était le sien, en rupture par rapport à l'idéologie dominante de la religion catholique. Il faut dire que dans l'Europe Centrale, la Réforme était en train de s'imposer, même si COPERNIC fut lui-même Chanoine de Cracovie : mais son immense érudition, ses nombreux voyages lui avaient assurément permis d'acquérir une hauteur de vue et une indépendance de pensée susceptibles de le libérer des pesanteur du dogme ... Un autre aspect moins connu des activités de COPERNIC fut sa participation, permanente, tout au long de sa vie, à des observations. Notons que sa conviction était que la dizaine de minutes d'arc constitue une limite ultime pour la précision des mesures angulaires. Il est probable qu'en 1543 rien de mieux n'avait pu être fait. Mais COPERNIC exprime là une préoccupation nouvelle d'importance : la précision des mesures qui, jusque là, n'avait pas été identifiée clairement comme un élément devenant devant retenir l'attention (même si, implicitement, il avait fait l'objet de soins probables ...). C'est pourtant par ce chemin qu'allait passer le triomphe de la perception héliocentrique du monde !
Trois ans après la mort de COPERNIC naissait TYCHO-BRAHE. Il est bien connu que durant sa jeunesse il fut fasciné par les capacités de prédiction de l'astronomie, et il fut témoin de plusieurs événements célestes. Dès 1569-1570, il se fait construire des instruments d'observation (grands quarts de cercle, notamment) et un grand globe. Il développe des projets de "grands instruments", notamment le sextant de 1,8 mètres et un cadran de rayon supérieur à 6 mètres. Avec ces instruments, il pousse la précision des mesures au point ultime accessible sans l'intermédiaire de dispositif optique (en complément de l'oeil), c'est à dire environ la minute d'arc ( voir ci-après, au paragraphe "un exemple de système instrumental : l'oeil humain"). Pour atteindre cette précision, il faut rendre toutes les autres causes d'erreur négligeables devant la limite de résolution angulaire de l’œil (dont la valeur est justement de l'ordre de la minute d'arc). Pour se faire, on sait que TYCHO-BRAHE dressa des tables de correction atmosphérique. On sait moins le détail de ses procédures de mesure, mais il est sûr qu'elles devaient être extrêmement rigoureuses, et probablement utiliser des séries statistiques. Elles devaient aussi avoir recours régulièrement à des ré-étalonnages. Il est sûr, enfin, que les précisions atteintes manifestent une maîtrise technologique des constituants de ces instruments pour contrôler les déformations et limiter les effets thermo-élastiques. Peut-être la maîtrise du bois, constituant essentiel, s'apparentait-elle à la connaissance empirique qui préside encore aujourd'hui à la construction des instruments de musique. Il y a là encore de belles recherches qui restent à faire ... Toujours est-il que TYCHO-BRAHE accomplit un saut qualitatif dans la précision des mesures, et donc dans la description quantitative des mouvements des astres. Une des conditions nécessaires qu'il ne faut pas mettre, était qu'il disposait d'un soutien financier du pouvoir politique. On sait que TYCHO-BRAHE s'était vu accordé l'île de Ven (ou Hven) par le roi du Danemark, créant ainsi un grand observatoire qu'il dirigea pendant 13 ans.
À partir de ces mesures, il conteste le modèle héliocentrique et propose un troisième modèle du monde rappelant celui d'HERACLIDE. On lui doit aussi la publication d'observations qui rendent compte, directement, de faits contradictoires avec le dogme aristotélicien d'un monde supralunaire invariant. La première observation concerne l'explosion de la supernova dans Cassiopée (qui porte aujourd'hui son nom), le 11 novembre 1572. La seconde se rapporte au passage d'une comète du 13 novembre 1577 au 26 janvier 1578. Contradictoirement à ARISTOTE, il localise la comète dans l'espace supralunaire, ce qui constitue un nouveau coup porté au dogme officiel de l'immutabilité du ciel. Après la mort du souverain qu'il l'avait soutenu dans ses efforts observationnels, le nouveau pouvoir politique réduit son soutien financier pour faire fonctionner l'Observatoire de Hven, et TYCHO-BRAHE se rend à l'invitation de l'empereur d'Allemagne. Il y rencontrera KEPLER à qui il lègue la somme considérable de résultats observationnels amassés durant sa vie d'astronome-observateur. Né en Allemagne un quart de siècle après TYCHO-BRAHE, KEPLER devient professeur de mathématiques. Il acquiert une notoriété en publiant à calendrier "divinatoire". Il s'intéresse très vite à l'astronomie qu'il aborde avec un point de philosophique dans le droit fil des conceptions platoniciennes où l'esthétique et la magie des nombres tiennent une place essentielle pour tenter d'expliquer les phénomènes. Il publie un nouveau modèle du monde de type héliocentrique. Dans une correspondance retrouvée, TYCHO-BRAHE critique l'arbitraire des spéculations mathématiques et insiste sur la nécessité de fonder les représentations sur des mesures soigneuses. Inversement, KEPLER pousse TYCHO à publier ses données observationnelles : "il faut s'efforcer de mendier auprès de lui ses observations pour les publier sans altérations et toutes". En possession de la "banque de données" de TYCHO, KEPLER s'engage dans l'étude du mouvement de Mars. En 1609 il publie "Astronomia nova". Dans cette publication exemplaire d'honnêteté intellectuelle, il relate le détail de ses recherches, de ses cheminements, de ses succès et de ses échecs. Une citation peut être retenue " ... en TYCHO-BRAHE un observateur d'une extrême habilité, dont les travaux font apparaître l'erreur de 8 minutes d'arc que PTOLEMEE fait dans son calcul ; il est légitime que nous reconnaissions et que nous utilisions avec gratitude cette faveur de Dieu. Nous devons donc travailler à découvrir enfin la forme véritable des mouvements célestes, en abandonnant toutes ces hypothèses fictives". Nous avons là le texte d'une proposition de programme de recherche tout à fait moderne et convaincante ! Il fait dire à SIMON (1979) : " ... parce qu'aujourd'hui elles ne peuvent plus être négligées, ce sont ces seuls 8 minutes d'arc qui ouvrirent la voie à la complète réforme de l'astronomie". Ainsi, la démarche de KEPLER sera-t-elle doublement novatrice. D'une part il prend appui, en toute clarté, sur un écart entre la prévision d'un modèle et la réalité révélée par la mesure, pour invalider le modèle initial et fixer, par avance, des conditions de validité du nouveau modèle à construire ; ce faisant, il reste au niveau d'une description cinématique du mouvement des astres. Mais la seconde volonté novatrice affichée très vite par KEPLER est de dépasser le niveau simplement cinématique pour accéder à la dynamique des phénomènes, c'est à dire pour identifier les relations entre les mouvements et leurs causes. Cette volonté est affichée dans le titre de la publication qui résultera de ce "programme de recherche" : "Astronomie nouvelle par les causes ou la physique céleste" qui énoncera les deux premières lois de KEPLER, la loi des aires et l'ellipticité des orbites. D'abord limiter à Mars, ces lois sont généralisées et complétées par la troisième loi (de l'invariance du rapport du cube de la valeur du grand axe et du carré de la valeur de la période sidérale). Même s'il n'avait pas "expliqué" les causes du mouvement (il a utilisé la mécanique aristotélicienne, fausse !) et donc s'il n'avait pas atteint son objectif de représenter la dynamique, KEPLER avait franchi un saut qualitatif dans la description cinématique, créant ainsi les conditions de nouvelles recherches pour accéder à une représentation pertinente des relations entre les mouvements des planètes et leur cause.
C'est NEWTON qui apportera la description dynamique vers 1666. Il aurait imaginé d'étendre l'attraction gravitationnelle observée localement par la chute d'une pomme sur la Terre, jusqu’à la Lune, puis en l'appliquant au Soleil jusqu'aux planètes (dans le cadre du modèle héliocentrique complété par les lois de KEPLER). Dans ses "Principes mathématiques de philosophie naturelle", publiés en 1687, il fonde une nouvelle mécanique à partir de trois postulats :
1. le principe d'inertie,
2. la proportionnalité de l'accélération avec la force d'attraction gravitationnelle pour les planètes,
3. L'égalité de l'action et de la réaction.
C'est cette mécanique qui allait être triompher jusqu'à la fin du XIX<sup>ème</sup> siècle, et étayer l'illusion d'une identité de cette description mécanique à la réalité. Pour construire sa mécanique, NEWTON a beaucoup bénéficié des avancées contestataires de GALILEE, mort l'année de sa naissance. Par exemple, le second postulat de NEWTON dérive directement des résultats de mesures de GALILEE, ceux-ci l'ayant conduit à formuler sa loi de la chute des corps, (voir la "troisième journée" de son "Discours concernant deux sciences nouvelles", et RIVAL (1996)). GALILEE a apporté une contribution essentielle non seulement à l'astronomie, mais au fondement de la physique moderne, et plus généralement à "l'approche scientifique". Pourtant il lui en coûta de s'opposer au dogme officiel du pouvoir en place institutionnalisé par l'Église Catholique. Dès 1614 il fait l'objet de menaces précises. Après la publication de son "Dialogue sur les deux grands systèmes du monde" (1632), il est traîné devant la tribunaux, emprisonné, contraint à se rétracter et condamné à la réclusion à vie dans sa demeure des environs de Florence. C'est une époque où la force physique continue d'être le recouru ultime pour imposer la pensée de la réligion totalitaire, là où elle a conservé le pouvoir. Il y a à peine plus de trois dizaines d'années que les pensées non conformes au dogme officiel avaient conduit Giordano BRUNO au bûcher (en 1600 à Rome) ; simplement parce qu'il avait défendu des idées non officielles et notamment pour avoir plaidé une mobilité de la Terre en utilisant des arguments physiques en cohérence avec une conception galiléenne du mouvement. Il n'en fallait pas plus pour être suspecté d'hérétisme ! Le 20 janvier 1600, le pape CLEMENT VIII ordonna le jugement ; jugé hérétique, il est condamné par le tribunal de l'Inquisition à être brûlé vif, après avoir été torturé. Ses ouvrages sont mis à l'index et brûlés sur la place Saint-Pierre. Lorsque le 8 février 1600, la sentence lui est lue publiquement, il aurait déclaré : "vous éprouvez sans doute plus de crainte à rendre cette sentence que moi à l'accepter" (voir l'ouvrage "L'infini, l'Univers et les mondes", Giordano BRUNO, Berg international éditeurs, 1987). Le 17 février 1600, Giordano BRUNO fut brûlé vif sur le Campo dei Fiori à Rome. Cette érudit qui avait enseigné la physique à Toulouse et à Paris, avait plaidé une Terre mobile dans un Univers infini, contenant une pluralité des mondes ... Ce contexte permet de juger le courage de GALILEE, qui continua le combat d'idées.
La formulation de la loi de la chute des corps par GALILEE fait l'objet de discussion toujours ouvertes (voir notamment FEYERABEND, 1979) mais il est clair qu'en transgressant les apparences entachées d'erreur, GALILEE discerne l'essentiel, la "loi physique" ; ce qui est devenu la règle des sciences d'aujourd'hui ... Mais le mérite de GALILEE ne s'arrête pas là. Il va renouer avec l'ambition "astrophysique" du courant d'idées reliant les matérialismes gréco-romains (LEUCIPPE, DEMOCRITE, EPICURE, LUCRECE, ... etc ...) qui se proposent de connaître la nature des astres (leur "physique") sans faire aucune présupposition. Cette idée est contraire à la doctrine de PLATON et ARISTOTE qui postule une nature idéale "divinement parfaite" pour le monde supralumaire, différente de celle de notre monde sublunaire. Pour y parvenir, GALILEE va contribuer à réaliser un nouvel instrument qui va permettre de franchir un saut qualitatif dans les performances de l'observation.
Vers le début de 1609, GALILEE s'intéresse à un appareil optique connu depuis peu : la lunette. Il conçoit et réalise un instrument performant qu'il utilise au mois d'août dans une démonstration devenue célèbre (voire fiche bibliographique). C'est fin novembre / début décembre qu'il tourne sa lunette vers le ciel pour faire, en deux mois, cinq découvertes majeures :
1. l'observation de la lune révèle une surface rugueuse, contredisant la perfection idéale du dogme aristotéticien.
2. il résout la Voie Lactée,
3. il découvre les quatre gros satellites de Jupiter, "étoile errantes" qui portent un coup de plus au dogme de l'invariance de l'espace supralunaire,
4. il découvre les phases de Vénus, apportant ainsi un résultat observationnel qui s'accorde mieux avec le modèle copernicien qu'avec un modèle géocentrique
5. enfin il met en évidence des tâches solaires.
Sa publication "Sidereius Nuncius" sorti en 1610 reçoit un accueil réservé. La remise en cause des conceptions aristotéliciennes résultant de l'usage d'un nouvel instrument n'est pas sans induire des suspicions ...
Après les cinq découvertes succédant à la mise en oeuvre de la lunette, nous avons là un cas d'école d'un des processus conduisant à l'acquisition de connaissances nouvelles. Ces dernières résultent directement d'un saut qualitatif des performances observationnelles, elles-mêmes induites par une transition qualitative de la technologie utilisée. Beaucoup d'autres cas de type de processus existent, notamment dans l'époque contemporaine, avec l'usage de l'instrumentation astronomique spatiale. Nous y reviendrons, mais n'oublions pas que ce type de processus n'est pas le seul existant ...
#### 7 - L'essor de l'astronomie et son instrumentation au temps moderne
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<br><br> Il est frappant de constater que dans le domaine du développement instrumental, NEWTON, encore lui, prolonge l'oeuvre engagée par GALILEE. Même si l'idée n'est pas exclusivement de NEWTON (voir fils bibliographique), c'est quand même lui qui réalise le premier télescope, certes de dimensions modestes mais appelé un glorieux avenir. Aujourd'hui, la supériorité incontestable du télescope est sa possibilité de disposer d'une pupille de grande dimension (plusieurs mètres) permettant ainsi d'accroître à la fois la surface de collection du rayonnement incident, et la résolution angulaire limitée par la diffraction. La lunette, elle, connait une limitation technologique drastique : un diamètre de l'ordre du mètre limité par la nécessaire homogénéité du verre de l'objectif. Mais l'intention à l'époque de NEWTON était de résoudre le problème des aberrations chromatiques dont les optiques par transmission (à lentilles) avaient du mal à s'accommoder. Pendant des dizaines d'années une sorte de compétition aura lieu ... Notons enfin que le télescope de NEWTON utilisait un miroir entièrement métallique, dont l'usage, vite abandonné au bénéfice de miroirs en verre métallisé pour une utilisation en lumière visible, est revenu à l'ordre du jour aujourd'hui pour l'infrarouge et le submillimétrique (y compris pour des diamètres de l'ordre du mètre et plus).
#### 9 - La place de l'instrumentation<br>&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp;&nbsp; dans l'astronomie d'aujourd'hui Le développement instrumental pour l'astronomie devient à cette époque de plus en plus couplé à celui de la physique, tout comme pour le développement conceptuel. D'ailleurs, l'expérimentation va agir directement pour trouver la réponse à des questions millénaires concernant à la fois la physique et l'astronomie. Deux exemples peuvent être évoqués. Le premier concerne le vieux débat qui opposait dans l'antiquité grecque les matérialistes (dont EPICURE) et l'école aristotélicienne : le vide existe-t-il ? Oui disait les premiers, non avait répondu ARISTOTE. Les expériences de TORRICELLI et de PASCAL tranchèrent le débat par une mise en évidence expérimentale directe (voir par exemple RIVAL, 1996). Le second concerne la valeur de la vitesse de la lumière. EMPEDOCLE, EPICURE, LUCRECE attribuaient une valeur finie à la vitesse de la lumière. ARISTOTE notait qu'"une telle opinion est contraire à la fois la raison et aux faits observés". GALILEE reprend l'idée des matérialistes grecs, mais ne trouve pas d'argument décisif. Jean-Dominique CASSINI remarque des irrégularités dans le mouvement d'un satellite de Jupiter, et il envisage une interprétation par une valeur finie de la vitesse de la lumière ; mais il ne peut pas mettre en évidence cet effet sur les trois autres satellites connus. ROMER reprend l'étude et il finit par convaincre après avoir fait une prévision qui se révèle exacte ; toutefois la méconnaissance des distances ne permet pas d'estimer la valeur de la vitesse de la lumière, mais seulement sa finitude. En 1728, BRADLEY mesure "l'aberration de la lumière" en cherchant la en cherchant la valeur de la parallaxe annuelle de l'étoile Gamma du Dragon ; la seule interprétation raisonnable et d'attribuer une valeur finie à la vitesse de la lumière pour expliquer les valeurs de BRADLEY. C'est FIZEAU qui obtiendra en 1849 la valeur de 315000 km/s à l'aide d'une expérience utilisant une roue dentée (hacheur de faisceau) dont on ajuste la vitesse de rotation pour "éteindre" le faisceau réfléchi sur un miroir situé à une dizaine de kilomètres. Plus tard, en 1881, MICHELSON et MORLEY utiliseront une expérience interférométrique pour préciser cette valeur et montrer son invariance, pas essentiel vers la relativité d'EINSTEIN.
Mais il faut revenir au début du XVII<sup>ème</sup> siècle et évoquer deux figures de l'astronomie de la physique : DESCARTES et HUYGENS. DESCARTE développe une pensée philosophique unificatrice fondant la démarche d'acquisition des connaissances sur la rationalité. On connaît sa contribution à l'optique (lois de l'optique géométrique) et aux mathématiques. Sa pensée finement nuancée a fortement contribué à construire les fondements des méthodes scientifiques. En astronomie, il propose un Univers infini, avec une matière fluide en tourbillons localisés qui entraînent dans leur mouvement les astres ; de plus, ces tourbillons expliquent l'attraction centrale, par exemple de la Terre sur les corps à sa surface. Cette "physique tourbillonnaire" est reprise par HUYGENS. Cet astronome va contribuer, en plus de ses travaux en physique et en mathématiques, au développement instrumental. Il invente des lentilles achromatiques avec lesquelles il confectionne un nouveau type d'oculaire qui lui permet de découvrir :
1. l'anneau de Saturne,
2. la rotation de Mars,
3. et la grande nébuleuse d'orion en 1656.
Il établit la théorie du pendule, et utilise ce dispositif expérimental pour réguler les horloges mécaniques, parvenant ainsi à des précisions nettement meilleures que la seconde pour la mesure du temps.
C'est près d'un siècle plus tard que MESSIER dresse son fameux catalogue de 103 objets célestes étendus. À cette époque, les télescopes s’étaient perfectionnés et avaient accru leur diamètre. HERSCHELL fabrique un puissant instrument d'un mètre vingt de diamètre pour le miroir primaire. La résolution angulaire, limitée par la diffraction, est ainsi portée à près d'un dixième de seconde d'arc en lumière visible ; désormais c'est la turbulence atmosphérique qui va limiter la résolution angulaire avec des instruments qui est deviendront de moins en moins aberrants (au sens de l'optique géométrique). Avec ces instruments aux performances qualitativement accrues, il découvre :
1. Uranus et deux de ces satellites,
2. deux satellites de Saturne,
3. et des étoiles doubles.
Il étudie ces systèmes binaires et observe des nébuleuses. Il fonde la photométrie stellaire en lumière visible. Il fait la première détection de flux de rayonnement infrarouge en provenance du Soleil. Nous avons là encore un exemple d'avancées résultant d'un saut qualitatif des performances d'instrumentales
À terminer.
#### 8 - La place de l'instrumentation dans l'histoire de l'astronomie
<br>
L'histoire de l'astronomie, depuis la Mésopotamie ancienne jusqu’à nos jours, en passant par l'Antiquité grecque et la Renaissance en Europe occidentale, montre que l'instrumentation est un maillon __toujours présent__ dans la chaîne du processus d'acquisition de connaissances nouvelles. Toujours, la mise en oeuvre de l'instrumentation a été une condition nécessaire, mais pas suffisante.
La mise en oeuvre d'une instrumentation dans le processus de la mesure astronomique (ou observation) mobilise toujours 3 sous-systèmes principaux :
1. un objet inerte (ou un ensemble d'objets) qu'on appellera instrument ou outil,
2. une méthode d'utilisation (ou généralement un ensemble de méthodes),
3. des ressources (moyens économiques, budgétaires, humains, en matériels périphériques ou logistiques.
La mise en oeuvre d'une instrumentation astronomique s'est exercée de multiples manières ; deux idéaux-types extrêmes peuvent être identifiés.
Le premier est l'__idéal-type de validation__. L'exemple célèbre est celui de la découverte de Neptune. Un modèle très élaboré rendant compte des perturbations de la trajectoire d'Uranus fait une prévision : l'existence d'une nouvelle planète, Neptune, et sa localisation. L'auteur du modèle, LE VERRIER, propose à son collègue GALLE de mettre en oeuvre une instrumentation pour __valider__ le modèle. Grâce à l'existence de l'outil adapté (son télescope), de sa connaissance de la méthode appropriée, et parce que des moyens existent pour faire fonctionner son observatoire, GALLE "découvre" Neptune le 23 septembre 1846.
Cet exemple concerne la mise en oeuvre d'une instrumentation déjà existante. Dans d'autres cas, il faut la concevoir et la réaliser. Un autre exemple beaucoup plus modeste et plus récent peut être cité. En 1985, un modèle propose l'existence, en abondance, de molécules policycliques aromatiques dans la matière interstellaire ; si tel est le cas, un motif spectral à 3,3 micromètres de longueur d'onde doit exister dans le flux diffus rayonné par le disque de la Galaxie. Comme l'atmosphère est très absorbante et perturbante, il est nécessaire de réaliser cette mesure depuis l'espace. Un instrumentation embarquable en ballon stratosphérique est conçue et réalisée pour atteindre cet objectif. Le 30 juillet 1987, un vol transméditerranéen permettait de détecter pour la première fois ce motif spectral à 3,3 micromètres depuis une altitude de 37 km. Dans cet exemple, grâce aux ressources accordées par le CNRS et le CNES, une instrumentation a pu être conçue, réalisée et mise en oeuvre. La méthode identifiée s'est avérée adaptée, et la procédure de validation s'est accomplie ; Ce fut le programme AROME. Cette __idéal-type de validation__ est celui qui est presque toujours implicite dans l'idéologie contemporaine des astronomes. Ainsi, la réalisation d'une instrumentation suppose l'acquisition de moyens attribués au terme d'un processus de sélection très dur. Pour gagner cette sélection, le projet choisi, (parmi d'autres qui sont abandonnés) doit prouver que sa réalisation va permettre de valider un modèle d'objet ou de phénomènes cosmiques dont l'enjeu de connaissance est jugé prioritaire. Cette idéologie contemporaine est cohérente avec celle qui domine dans notre société très attachée à garantir une rentabilité maximum des investissements. Elle satisfait, aussi, l'esprit rigoureux des scientifiques qui aiment concevoir la démarche de recherche comme un processus ordonné, avançant pas à pas sur une ligne continue. Pourtant, l'histoire de l'astronomie jette un doute épais sur la continuité de la ligne de recherche et sur la capacité de "programmer" l'avancée des connaissances ! Existe-t-il, __aujourd'hui__, une possibilité de programmation là où __hier__, l'histoire montre que ce fut impossible la plupart du temps ? Cette question mériterait une réponse approfondie. Bordons nous ici à la poser, sans tenter d'y répondre ...
L'idéal type de validation est minoritaire dans l'histoire de l'astronomie. Celui qui domine nettement est l'__idéal-type d'exploration__. Lorsque des mésopotamiens au grecs, les astronomes observent l'ombre du Soleil et de la Lune produite par un bâton vertical (le gnomon), ils cherchent d'abord à connaître la course de ces astres. Peut-être, ensuite, le gnomon fut-il aussi utilisé dans une démarche de validation. Mais dans un premier temps, les outils simples des astronomes (gnomon, polos, grand-cercles, quadrants ...) furent utilisés dans une démarche d'exploration. Lorsque TYCHO BRAHE amasse des mesures du mouvement de Mars, mettant en oeuvre des outils et des méthodes permettant de franchir un seau qualitatif en précision (d'un facteur de l'ordre 10), il ne le fait pas pour __valider__ le modèle que KEPLER construira après sa mort ! C'est pourtant ces mesures "d'exploration" qui vont permettre à KEPLER d'identifier un écart de 8 minutes d'arc entre la réalité et le modèle de PTOLEMEE, créant ainsi les conditions de sa découverte des fameuses lois et de renforcer le crédit de la représentation copernicienne d'un monde héliocentrique !
L'__idéal-type d'exploration__ est le plus représentatif en histoire de l'astronomie ; il soulève le problème de la relation de cette science avec la technologie. D'une manière générale, la mise en oeuvre d'une instrumentation astronomique correspondant à l'idéal-type d'exploration, résulte de l'accession à une nouvelle technologie. Le mot "technologie" est accommodé à beaucoup de sauces ... / ... On l'entend ici au sens défini dans le lexique. C'est l'accès à une technologie, nouvelle pour l'astronomie, qui a apporté une contribution à l'origine des grandes avancées des connaissances. Ainsi, lorsque GALILEE tourne sa lunette vers le ciel, il lui suffit de deux mois pour faire cinq grandes découvertes ( la surface "rugueuse" de la Lune, la résolution des étoiles de la Voie Lactée, les satellites de Jupiter, les phases de la Lune, les tâches solaires ), contribuant à bouleversement de notre représentation de l'Univers.
C'est avec son nouveau télescope d'un mètre vingt de diamètre qu'HERSCHELL instaure une nouvelle ère de l'astronomie, découvre deux satellites d'Uranus, deux satellites de Saturne, recense près de 250 nébuleuses, confirme le mouvement du système solaire dans la Galaxie, découvre les systèmes binaires d'étoiles, fonde la photométrie dans le domaine visible, et découvre le rayonnement infrarouge en provenance du Soleil !
Ce! idéal-type d'exploration correspond généralement à une démarche d'investigation indépendante de celle de l'idéal-type de validation (qui résulte d'une intention précise bien identifiée). Parfois, elle est franchement contradictoire. Ainsi, lorsqu’en 1850 / 1851 l'autodidacte Léon FOUCAULT observe dans sa cave un pendule constitué d'une sphère de laiton de 5 kg pendu à un fil d'acier de 2 mètres, il le fait en contradiction avec les prévisions des modèles officiels. Son expérience, reproduite dans la grande salle méridienne de l'Observatoire de Paris, puis au Panthéon en Mars 1851, sera pourtant qualifiée (en 1904) par Camille FLAMMARION de "la plus magnifique leçon d'astronomie populaire qui ait jamais été donnée au grand public. ( ... ). La Démonstration pratique, évidente, majestueuse, du mouvement de rotation de notre globe ... ". Pourtant lorsqu'ARAGON lut, le 3 février 1851, le rapport de l'expérience devant l'Académie des sciences, un fumé de scandale s'éleva. Non seulement toutes l'école mathématique, notamment française, très compétente dans les savants calculs de la mécanique n'avaient pas prévu la rotation apparente du plan d'oscillation du pendule, mais encore certains, parmi les plus éminents comme POISSON (dans le journal de l'École Polytechnique) avaient écrit que l'effet n'existait pas (LAPLACE avait fait de même) ; cette affirmation résultait d'une activité de type "spéculative", c'est à dire d'une théorie ou d'un modèle sans susciter le besoin d'une validation par l'expérience. Or, deux siècles plus tôt, l'élève de GALILEE, Vicenzo VIVIANI avait dès 1660-1661 noté : "Nous observons que tous les pendules à un seul fil dévient du plan vertical initial, et toujours dans le même sens". Il ne fait pas de doute que si l'expérience de FOUCAULT avait nécessité de gros moyens, les notabilités scientifiques de son temps n'auraient pas sélectionné son projet ! Notons aussi que la puissance spéculative peut écraser un résultat d'expérience antérieur de deux siècles ! Cela est-il pensable aujourd'hui ? Laissons à chacun le soin de répondre, à sa convenance, à cette question. Le pendule de FOUCAULT fut à l'origine d'une polémique qui se développa autour de son interprétation, mais qui concerna aussi la permanence de la tension qui existe entre la théorie (représentation abstraite) et la mesure (interaction d'un individu ou d'un collectif humain avec la réalité, objet d'étude et de la représentation abstraite). Ainsi, le mécanicien Louis POINSON écrivait peu après, à propos de l'interprétation du pendule de FOUCAULT (voir Gapaillard, 1993, p247) :
" Sitôt qu'un auteur ingénieux a su parvenir à quelques vérités nouvelles, n'est-il pas à crainte que le calculateur le plus stérile ne s'empresse d'aller vite la rechercher dans ces formules, comme pour la découvrir une seconde fois, à sa manière, qu'il dit être la bonne et la véritable ; de telle sorte qu'on ne s'en croit plus redevable qu'à son analyse, et que l'auteur lui-même, quelquefois peu exercé ou même étranger à ce langage et à ces symboles, sous lequels on lui dérobe des idées, ose à peine réclamer ce qui lui appartient, et se retire presque confus, comme s'il avait mal inventé ce qu'il a si bien découvert ?"
En fait, entre l'idéal-type de validation et celui d'exploration, il existe tout un continuum dans lequel se rangent les mises en oeuvre d'instrumentation astronomique. Un exemple peut-être mentionné : la mesure du périmètre terrestre d'ERATOSTHENE. S'il existe une intention préalable, ce n'est pas celle de valider un "modèle sphérique". L'objectif de la mesure est la connaissance de la valeur du périmètre. De ce fait, cette mesure révèle davantage de l'idéal-type d'exploration que de celui de validation. Gardons-nous de réduire l'idéal-type de validation à une démarche intentionnelle, et réciproquement. Dans tous les cas (les deux idéaux-types et tout le continuum) __il existe une intention__, d'autant plus forte et argumentée qu'il faudra convaincre pour acquérir des ressources. L'action de conviction nécessaire à la réalisation d'une mesure, échappe parfois (souvent ?) à la sphère de la seule logique scientifique. Une condition nécessaire de réalisation est de nature socio-économique et presque toujours aussi socio-politique, avec une adhérence très forte à un système idéologique, plus ou moins partagé entre une communauté scientifique (ou une de ces parties) et un pouvoir politique dispensateur de ressources. Ce tissu de relations entre l'activité scientifique et la société est un déterminant essentiel de la dynamique d'acquisition des connaissances, d'autant plus vrai en astronomie que des moyens lourds sont mobilisés pour accomplir les mesures nouvelles ... Ainsi, la place que la société attribue à la recherche en astronomie, traduite pour une part essentiel par les ressources affectées, est-elle un des déterminants principaux de l'avancée des connaissances ...
#### 9 - La płace de l'instrumentation dans l'astronomie d'aujourd'hui
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Le statut de l'instrumentation en astronomie est un débat ; il constitue un enjeu philosophique étroitement corrélé au point de vue épistémologique que chaque astronome porte sur sa discipline consciemment ou inconsciemment. Implicitement, plusieurs représentations de la démarche de recherche en astronomie cohabitent, parfois au sein même de la conscience d'un seul individu !
Réduite au statut "technique", l'instrumentation est considérée trop souvent comme une activité __extérieure__ et __annexe__ à l'astronomie. Au mieux, elle constitue un __outil__ utilisé par quelques astronomes (devenu dans cette représentation des utilisateurs) pour accroître le contenu d'une __banque de données__ dont les informations objectives existent en soi. Ainsi, à l'occasion de chaque observation aux mesures, les informations acquises avec cet outil vont-elles s'ajouter à un stock préexistant et constituer un __référentiel objectif__ de la connaissance astronomique dans le statut n'est pas très éloigné d'une sorte de __vérité révélée__ une fois pour toute. Cette représentation, presque toujours implicite, est sous-jacente au discours qui sortent l'instrumentation de __l'intérieur__ même de l'astronomie. Pourtant le choix est incontournable. Ou bien l'astronomie fonde sa démarche sur des informations lui venant de __l'extérieur__ , ou bien une composante __intérieure__ à cette discipline scientifique s'identifie à l'acquisition des informations pour s'inscrire dans une démarche de découverte (idéal-type d'exploration) et/ou de confrontation de la prévision de ses modèles à la sanction de la réalité (idéal type de validation). Le premier terme de l'alternative ne laisse pas beaucoup de place à autre chose que l'acceptation d'une __vérité révélée__ qui est peu compatible avec une démarche "__scientifique__". Le deuxième terme inclut de fait la conception, la réalisation et la mise en oeuvre de l'instrumentation à l'intérieur d'une démarche globale d'acquisition et de validation des connaissances relatives à l'Univers, c'est à dire à l'intérieur de la discipline scientifique désignée par le mot "astronomie".
L'histoire de l'astronomie est là pour illustrer ce débat. Chaque fois que la pratique de cette discipline a rejeté l'instrumentation (vers l'extérieur), ce fut la dérive vers la spéculation et la perte d'adhérence avec la réalité que l'on se proposait de mieux connaître. À l'inverse, une corrélation étroite existe entre les étapes clés du mouvement des idées (relatif à l'univers) et l'essor de nouvelles générations d'instruments astronomiques.
De fait, tout au long de son histoire, l'astronomie a vu vivre et se développer simultanément diverses approches, parfois distinctes et divergentes, voire contradictoires, et d'autres fois
étroitement mêlées, convergentes ou complémentaires. De la contemplation passive à une démarche de modélisation/prédiction/mesure/validation critique, la connaissance de l'Univers est toujours passée par la mise en oeuvre d'une "__instrumentation__". Réduite à l'oeil dans les phases les plus primitives, l'instrumentation s'est élargie dès l'antiquité la plus ancienne à divers __outils__ " instruments" conçus et réalisés dans un but bien précis. S'il est vrai que ce but se réduisait parfois au seul désir d'exploration (dans l'espérance de découvertes inattendues), d'autres fois, ce but était destiné à confronter une prévision à une observation originale, autrement dit, à une nouvelle mesure. Et c'est bien là une vocation singulière de l'instrumentation en astronomie : permettre de confronter une prédiction (résultant d'une théorie ou d'un modèle) à la réalité, perçue par l'intermédiaire d'une mesure et, ce faisant, ouvrir la voie à des découvertes inattendues. Cette confrontation est une condition nécessaire pour légitimer le statut de "__Science__" aujourd'hui attribué (avec raison) à l'astronomie. Sans cette étape clé de confrontation à la réalité, l'astronomie n'échapperait pas à la condition d'activité intellectuelle spéculative laissant le champ ouvert à toutes les fantaisies ... L'objet d'étude de l'astronomie est l'Univers. À l'exception des régions du Système Solaire (fraction infime et peut représentative), les mesures in situ sont inenvisageables. La simulation à l'échelle 1 des phénomènes étudiés et leur reproductibilité en laboratoire sont presque toujours exclues. Aussi, le "moment de l'expérimentation" dans la démarche scientifique de l'astronomie a-t-il un contenu singulier et relativement réduit (par rapport à d'autres disciplines scientifiques). Il se limite (presque toujours) à la collecte et à la mesure de rayonnement émis, à l'origine, par les objets étudiés de l'Univers. Ces mesures de "rayonnement" (électromagnétiques, de particules chargées, de neutrinos, d'ondes gravitationnelles) se font par l'intermédiaire de l'instrumentation. La conception, la réalisation et la mise en oeuvre de l'instrumentation et donc un moment essentiel dans le processus d'acquisition des connaissances relatives à l'Univers. Identifier son statut à celui d'une "technique" ou d'"un ensemble de techniques" est une réduction qui lui enlève l'essentiel de son sens. L'instrumentation n'est pas un intermédiaire objectif qui fabrique des informations objectives dont la validation va de soi. Ceux qui pratiquent le développement instrumental et l'exploitation des mesures savent bien l'ampleur des tâches à accomplir pour acquérir de l'information "intéressante" à partir des signaux enregistrés. Deux obstacles doivent être successivement franchis :
1. premièrement, l'acquisition d'une connaissance précise et approfondie de l'instrument utilisé (qui souvent va limiter la précision des mesures),
2. deuxièmement les procédures de traitement du signal, mise en oeuvre presque toujours au prix d'approximations et de choix (qu'il vaut mieux expliciter et soumettre à la critique). Nous sommes loin d'une procédure "objective" (ou neutre) de production de connaissances identifiables à une vérité révélée ! La conception, la réalisation et l'utilisation de l'instrumentation constituent des moments essentiels de la __démarche scientifique__ permettant d'acquérir des connaissances nouvelles en astronomie. Le terme d'instrumentation désigne donc, à la fois, des appareils mais aussi des outils de mesures et des méthodes ; il se réfère au moment crucial et décisif de la rencontre entre la réalité de l'Univers et la représentation que nous nous en faisons. Ainsi que d'autres activités de la recherche, la conception, l'utilisation de l'instrumentation, de même que l'analyse des informations associées, doivent constituer l'enjeu d'un débat et d'une critique sans concession de la communauté des astronomes. Sans cette activité essentielle, il ne peut pas y avoir de validation d'un progrès des connaissances.
Aujourd'hui, parmi la très grande diversité des situations singulières, le fonctionnement de l'astronomie moderne peut se décrire comme l'accomplissement et la mise en relation de boucles élémentaires qui peuvent se schématiser, en premier approximation, de la manière suivante. Partant d'un écart entre une prédiction et une mesure, une analyse va se développer en essayant d'intégrer les acquisitions les plus récentes de l'astronomie, mais aussi de disciplines adjacentes (principalement physique, chimie et mathématiques). À cette phase de travail succédera l'établissement d'un nouveau modèle destiné à donner une représentation la plus complète et la plus satisfaisante possible de l'objet ou du phénomène (processus) étudié. Souvent ce nouveau modèle existera au terme d'un processus de recherche, dont une étape peut être l'expérimentation de laboratoire, la simulation où l'emprunt pur et simple de résultats nouveaux de discipline adjacentes (physiques, chimie, mathématiques). La validation de ce nouveau modèle est impose une prédiction, si possible quantitative (valeur d'une grandeur physique par exemple). C'est là qu'intervient la phase cruciale de la confrontation de cette représentation avec la réalité. Cette phase est celle de l'instrumentation. Tester la prédiction suppose la mise en oeuvre d'une instrumentation adaptée ou "système complexe de mesure". Parfois cette action impose de concevoir et de développer une nouvelle instrumentation ; cette activité est désormais désignée par le terme de "projet instrumental". L'utilisation de l'instrumentation permettra __in fine__ de tester la validité de la prédiction, et par la suite du nouveau modèle. Un désaccord caractérisé entraînera le rejet du modèle, un accord lui attribuera une validité reconnue. Mais en général, la réalité s'avère plus complexe qu'on aurait pu le croire au premier abord ; si le nouveau modèle s'accorde mieux que les anciens avec la mesure nouvelle, il ne suffit tout de même pas à tout expliquer. Et de ce nouvel écart surgira un nouveau cycle de l'activité de recherche en astronomie. Bien sûr, ce schéma décrivant des activités relatives à un processus en ligne ("unidimensionnel") ne donne qu'une image simplifiée de la pratique de recherche en astronomie (pluridimensionnelle, parfois hésitante avec des retours en arrière, fédérant souvent plusieurs besoins de validation dans un seul "projet instrumental" ... etc ... Mais ce schéma peut être retenu pour décrire la maille élémentaire du réseau tissé par les pratiques modernes de la recherche astronomique, à condition d'avoir de ce schéma une conception ouverte et large, et non étroitement mécaniste. Même dans le cheminement linéaire de l'idéal-type de validation, la réalité s'avère, __presque toujours__, plus complexe qu'on ne l'avait prévu au départ. Ainsi des caractéristiques de l'idéal-type d'exploration accompagneront toujours une démarche d'investigation mettant en oeuvre une instrumentation. Une illustration peut être mentionnée avec tous les grands projets de relevés systématiques du ciel ("les manips de type Survey"). Ces projets sont défendus, au départ, sur la base d'un idéal-type de validation. Cette pratique réductrice est une réponse aux besoins d'une procédure de sélection fortement déterminée par une idéologie dominante, par un cadre socio-institutionnel et par des pesanteurs politico-économiques. À l'arrivée, les résultats à qui, au terme de la démarche de validation pèsent souvent peu devant ceux produits par une pratique (de fait) d'exploration. Cette réalité accompagne presque toujours les projets concrétisant un saut qualitatif dans les performances instrumentales (ou de mesure).
En bref, l'instrumentation constitue donc un moment crucial dans le processus d'acquisition des connaissances en astronomie. Son existence et sa place à l'intérieur des pratiques de recherche des astronomes fonde le statut de discipline scientifique attribué désormais, avec raison, à l'astronomie.
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